Forum de Saint-Louis : A Essaouira, l’Afrique « repense son monde » pour un développement authentique
Au Forum de Saint-Louis à Essaouira, les spécialistes ont passé au crible les grands défis et freins au développement africain. Les idées ont été convergentes quant à l’impératif de changer les paradigmes, d’imaginer de nouveaux modèles de développement, d’assurer une gestion optimale des espaces urbains, de protéger l’environnement, d’apporter des réponses à la question migratoire, mais aussi d’élaborer un modèle éducatif africain et endogène. Le tout dans un contexte de dialogue des cultures symbolisé par Essaouira au Maroc et Saint-Louis au Sénégal : deux villes, à la fois proches et lointaines.
Éternelle, historique, spirituelle, religieuse, multiculturelle, multiconfessionnelle, autant de qualificatifs dans l’imaginaire collectif sénégalais qui renvoient à la ville de Saint-Louis ou «Ndar», selon les termes du nord sénégalais. Il en est de même du côté marocain avec Essaouira. Deux villes lointaines mais semblables sur bien des aspects et qui ne faisaient plus qu’une pour cette édition 2018 du Forum de Saint-Louis, les 02 et 03 novembre sous le Thème : «Mieux habiter le monde».
La thématique s’est imposée dans un contexte de changement climatique dont les conséquences sur l’Afrique sont connues et reconnues pour leur gravité Elles sont le résultat d’un modèle basé sur la surconsommation à outrance que les intervenants ont appelé à déconstruire, afin d’habiter le monde de manière plus harmonieuse. Un changement à instituer notamment via une meilleure gestion des espaces urbains, de la question migratoire, mais aussi par l’élaboration de systèmes éducatifs en faveur d’un modèle de développement africain, authentique et puisé dans la force souvent méconnue du Continent.
Jalons d’une Afrique créatrice, enracinée et modèle
«La force créatrice des peuples africains s’affinera et fera de ce Continent un espoir(…). Il suffit de voir les innovations dans certains secteurs pour mesurer la force créatrice des populations africaines. Qui pouvait imaginer qu’un simple téléphone portable puisse faire autant de choses en terme de paiement avant que de jeunes africains ne s’emparent de ces outils pour résoudre des problèmes spécifiques et locaux…», a déclaré le Philosophe Sénégalais Souleymane Bachir Diagne, faisant allusion au développement du M-Banking, une solution africaine à la non bancarisation, devenue une référence.
Dans le même ordre d’idée, Amadou Diaw, l’organisateur du Forum de Saint-Louis estime que le Continent africain peut et doit être exemplaire, fécond en leçons et source d’inspiration pour le reste du monde. Pour André Azoulay, il y a une autre Afrique, celle contée par l’écrivain Malien Ahmadou Hampaté Bâ, qui l’a aidé à mieux appréhender l’Afrique par la douceur de son verbe, sa pédagogie, son humanité. «C’est cette Afrique profonde, enracinée, sereine, très forte, installée dans son ADN…», racontée par le célèbre auteur «d’Amkoullel, l’enfant peul» qui doit être exaltée, maintenue, pour soutenir les fondements d’un modèle de développement juste, humain et endogène, selon les dires d’André Azoulay. De la même manière, Alioune Sall, Directeur exécutif du think thank panafricain, l’Institut des futurs africains (IFA), a imaginé quatre scénarios possibles du développement en Afrique où l’éducation et la formation sont primordiales, car à la base de tout développement. Une éducation qui néanmoins doit être reconsidérée pour éviter les erreurs passées.
Déconstruire les modèles
Ainsi, le premier thème de la rencontre a été intitulé : «repensons les imaginaires». Un imaginaire considéré comme un espace de créativité indispensable dans lequel, l’être humain exerce ses différentes représentations du monde et devant être réorienté vers une perception différente du Continent africain. Une session qui a ouvert la voie à la deuxième thématique de la rencontre consacrée au développement des «graines du possible». En effet, dans les différents secteurs clés du développement, notamment l’éducation, la santé, et l’agriculture des initiatives émergent en Afrique pour résoudre des problèmes endogènes, mais aussi pour inspirer sur l’ensemble du Continent ainsi que dans le reste du monde. Par ailleurs, les panélistes ont rappelé que Le Continent avec ses 20 à 25 millions de nouveaux urbains par an et ses 52 villes de plus d’un million d’habitants est le champion mondial de l’urbanisation. Des jeunes africains de la Diaspora ont ainsi présenté des modèles réinventant la ville africaine de demain, authentique, vivable et capable de procurer à ses habitants à la fois les services indispensables, mais aussi des opportunités d’emploi, inspirées de l’habitat traditionnel africain notamment au Burkina Faso et au Mali.
La parole échut aussi aux spécialistes des questions migratoires, qui par le thème «Tous migrants» ont rappelé que 4/5 des migrations ont court sur le continent africain, mais que de plus en plus, les jeunes africains aspirent à se rendre en Europe principalement à la recherche d’une vie et d’opportunités meilleures. D’où la nécessité de préserver nos ressources et plus globalement notre «planète Terre, planète Mer», objet de la cinquième thématique. Les intervenants ont fait le lien entre la dégradation de l’environnement, le phénomène des migrations et les risques de conflits liés aux territoires, aux ressources naturelles et hydrauliques. Or la mise en place des dispositifs efficaces et socles de développement en Afrique ne peut s’effectuer sans un modèle éducatif adapté et repensé, qui a été abordé sous le thème : «Apprendre autrement» ou plus précisément comment imaginer le modèle de l’école de demain en Afrique et dans le monde. Une Afrique unique par sa diversité linguistique, culturelle, religieuse symbolisée par Saint-Louis et Essaouira, qui cristallisent l’essentiel des défis à relever par les villes et régions africaines en termes de perspectives et de développement socio-économique.
Deux villes au potentiel sous-exploité
Villes historiques, symboles de la diversité et de la richesse culturelle de leurs pays respectifs, les deux cités, menacées par l’érosion côtière, ont beaucoup perdu de leur splendeur et lustre d’antan. Le manque d’opportunités, de structures génératrices d’emplois poussent la jeunesse à déserter ces régions à haut potentiel dans les secteurs de la pêche, de l’agriculture, du tourisme, au profit de centres urbains comme Casablanca et Dakar. Si Essaouira profite relativement bien de son patrimoine culturel, grâce au secteur touristique et des festivals qui rehaussent la renommée de la ville, Saint-Louis (en dehors de quelques timides initiatives) tarde à se doter d’un programme structuré pour valoriser et surtout préserver ses sites uniques classés au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2000.
Source : La Tribune Afrique