Après la volte-face de Jammeh, la Gambie dans l’incertitude
Sourd aux pressions internationales, Yahya Jammeh a déployé en masse les forces de sécurité et promu de nombreux officiers à des grades supérieurs.
Banjul, la capitale gambienne, vit des heures graves. Au lendemain du revirement du président sortant Yahya Jammeh qui a donc décidé de ne plus reconnaître sa défaite lors du scrutin présidentiel de ce début de mois, les rues sont contrôlées par les forces de sécurité. Cela crée une situation confuse que, selon la Constitution, seule la Cour suprême peut dissiper puisqu’il s’agit d’un litige sur des résultats électoraux. Le seul problème, c’est que Yahya Jammeh a déjà officiellement reconnu sa défaite au téléphone et en public en échangeant avec Adama Barrow, considéré à partir de ce moment comme le président élu de la Gambie. En attendant, il y a lieu de savoir que tout candidat à la présidentielle peut saisir la Cour suprême dans les dix jours suivant la proclamation des résultats.
Yahya Jammeh brouille les cartes
– Acte 1 : au pouvoir depuis 22 ans dans un pays qu’il a dirigé d’une main de fer, Yahya Jammeh crée la surprise en reconnaissant en public sa défaite. Cette attitude en a surpris plus d’un et a conduit le président de la Commission électorale indépendante à saluer la « magnanimité » de Yahya Jammeh.
– Acte 2 : alors que les pays africains et la communauté internationale saluent ce scénario extraordinairement positif pour la démocratie en Afrique, Yahya Jammeh effectue une volte-face spectaculaire dans une déclaration télévisée vendredi soir. « Tout comme j’ai loyalement accepté les résultats, en croyant que la Commission électorale était indépendante, honnête et fiable, je les rejette dans leur totalité », a-t-il indiqué. Et dénonçant « des erreurs inacceptables » de la part des autorités électorales, le voilà qui exige la tenue d’un nouveau scrutin.
– Acte 3 : se positionnant désormais à nouveau comme l’incontournable président des Gambiens, Yahya Jammeh a, dans sa déclaration de vendredi, assuré que « l’intervention de puissances étrangères ne changerait rien », prévenant qu’il ne tolérerait aucune protestation dans les rues. Joignant l’acte à la parole, il a même empêché l’avion amenant une mission de la Cédéao de se poser à Banjul, si l’on en croit le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye.
Adama Barrow exhorte au calme
À l’endroit de Yahya Jammeh, Adama Barrow a indiqué qu' »(il) l’exhorte à changer de position et à accepter de bonne foi le verdict du peuple ».À l’issue d’une réunion de l’opposition qui s’est tenue à son domicile, il a par ailleurs ajouté que le président sortant n’avait pas le pouvoir constitutionnel de convoquer une nouvelle élection.
Fait important : jeudi, Adama Barrow s’était prévalu du soutien du chef de l’armée, le général Ousman Badjie. Celui-ci, aux dires d’Adama Barrow, aurait dit qu' »(il) était fidèle au président Yahya Jammeh parce qu’il était élu président ». Il a affirmé que maintenant que je suis élu par le peuple gambien, il allait me soutenir », a déclaré Adama Barrow. Un fait qui n’est pas apparu anodin dans l’esprit de Jammeh qui a réagi en accordant des promotions jeudi et vendredi à quelque 250 officiers et officiers supérieurs. Une manière de séduire une partie de l’armée dans, sans doute, son dessein de garder le pouvoir.
En attendant, les pressions internationales se sont manifestées à travers plusieurs signaux. Le Sénégal et les États-Unis ont tout de suite rapidement condamné le revirement de M. Jammeh, exigeant qu’il conduise une « transition pacifique » avec M. Barrow et assure sa sécurité. À New York samedi soir, le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé M. Jammeh à « respecter le choix du peuple souverain de la Gambie et à transférer, sans conditions ni retard injustifié, le pouvoir au président élu, Adama Barrow ». Peu avant, l’Union africaine (UA), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’ONU avaient déjà appelé le gouvernement de Jammeh toujours en place à Banjul « à respecter le verdict des urnes et à garantir la sécurité du président élu Adama Barrow et de tous les citoyens gambiens ».
Autres réactions : celles de l’Union européenne et d’Amnesty international. Cité par l’AFP, l’Union européenne (UE) a jugé « inacceptable » le rejet des résultats de l’élection, « enjoignant fermement au président Jammeh de respecter l’État de droit et la volonté des Gambiens ». Amnesty International, pour sa part, a appelé « les forces de sécurité à faire preuve de retenue si les Gambiens décident d’exercer leur droit à protester pacifiquement ».
Une crise qui tombe mal, car en pleine saison touristique
Dans cet environnement instable, les Gambiens craignent pour leurs revenus, eux qui vivent essentiellement du tourisme. « Yahya Jammeh ne devrait pas dire des choses qui vont faire fuir les touristes », a ainsi déclaré à l’AFP sous le couvert de l’anonymat, un vendeur de jus de fruits. « Il doit céder le pouvoir pacifiquement pour le bien des Gambiens », a-t-il ajouté. Il n’a pas tort car dans la zone touristique de Banjul, les touristes occidentaux étaient moins visibles que les jours précédents, a indiqué le correspondant de l’AFP. Une manière de se protéger de l’agitation extérieure en restant dans leur hôtel qui n’échappe pas à la tension palpable dans le pays. Illustration : cette scène à laquelle a assisté le journaliste de l’agence de presse française où des serveurs s’invectivaient, divisés en partisans et adversaires du président sortant. Pas de bon augure pour la suite si la situation ne se décante pas vite.
Source : Le Point Afrique