Cour pénale internationale : l’hémorragie africaine continue
La Gambie a pris la décision de quitter la Cour pénale internationale. Avant elle, le Burundi et l’Afrique du Sud ont annoncé la semaine dernière quitter eux aussi l’instance de juridiction internationale. Pour ces trois pays, la CPI n’a pas encore reçu de « notification officielle du retrait ». Ensuite, selon la démarche officielle, « le retrait ne devient effectif qu’un an après » le dépôt de la notification auprès du secrétaire général de l’ONU et « n’a aucun impact sur les obligations antérieures » du pays concerné, a précisé le porte-parole de la Cour, Fadi El Abdallah.
Le Sénégal est le premier État à avoir ratifié le Statut de Rome, qui a fondé la Cour pénale internationale (CPI) en 1998. Sur les 124 pays membres de la Cour, 34 sont du continent africain, où la première enquête a été ouverte en janvier 2004 en Ouganda, puis en République démocratique du Congo, en Centrafrique, au Mali, au Kenya, etc., au total huit pays sont concernés par des enquêtes de la Cour. C’est en juillet 2008 que les relations entre les pays africains et la CPI se compliquent. À cette date, le procureur annonce un mandat d’arrêt pour génocide au Darfour contre le président du Soudan Omar Al-Bachir. De nombreux pays africains refusent de l’arrêter. En mars 2013, l’Union africaine mène directement la fronde à travers le Kenya après l’élection d’Uhuru Kenyatta, alors accusé de crimes contre l’humanité. L’un des derniers pays africains à ratifier le Statut de Rome, la Côte d’Ivoire entre dans la danse avec le transfèrement à La Haye en novembre 2011 de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, toujours en procès.
Ce n’est qu’en janvier 2016 que le procureur ouvre une enquête hors du continent africain, en Géorgie. La CPI ne peut certes pas enquêter de sa propre initiative sur un pays non membre, mais elle peut le faire si le Conseil de sécurité de l’ONU l’y autorise, comme ce fut le cas pour le Darfour (2005) et la Libye (2011). Que faut-il alors comprendre des rapports entre L’Afrique et la CPI ?
Quels sont les pays qui veulent quitter la CPI et pourquoi ?
D’abord, il y a le Burundi, qui n’a pas encore notifié l’ONU de son intention. Mais mardi 19 octobre dernier, le président burundais Pierre Nkurunziza a promulgué la loi prévoyant que son pays se retire de la Cour pénale internationale. Et ce, après le vote du Parlement burundais. Le motif ? Pays de la région des Grands Lacs, le Burundi a plongé dans une grave crise depuis que Pierre Nkurunziza a annoncé en avril 2015 sa candidature à un troisième mandat, avant d’être réélu trois mois plus tard. Les violences y ont fait plus de 500 morts et poussé plus de 270 000 personnes à l’exil. Une sortie de la CPI ne mettrait pourtant pas automatiquement le pays à l’abri de la justice internationale. La procureure de la CPI Fatou Bensouda avait lancé en avril un examen préliminaire sur des meurtres, tortures et viols notamment dans ce pays. Le Burundi avait signé le Statut de Rome en janvier 1999 et l’avait ratifié en septembre 2004.
L’Afrique du sud a crée la surprise en annonçant vendredi son retrait de la CPI. Par la voix de son ministre de la Justice, Pretoria a accusé la CPI de « préférer de toute évidence viser des dirigeants en Afrique ». L’Afrique du Sud menaçait depuis plus d’un an de dénoncer le traité de Rome fondant la CPI. Elle pourrait désormais devenir le tout premier pays au monde à le quitter. En 2015, les autorités de Pretoria s’étaient retrouvées au coeur d’une vive controverse à l’occasion de la visite à Johannesburg de M. Béchir pour un sommet de l’Union africaine (UA). Le gouvernement avait alors refusé d’arrêter le chef de l’Etat soudanais, recherché par la CPI pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour, région de l’ouest du Soudan en proie à une guerre civile depuis plus de 10 ans.
Ce mardi, c’est la Gambie qui annonce son retrait. Premier pays d’Afrique de l’ouest aussi qui envisage une sortie de la justice internationale. Dans une déclaration à la télévision nationale reprise sur les réseaux sociaux et diffusée sur YouTube, le ministre a accusé la CPI de « persécution envers les Africains, en particulier leurs dirigeants », alors que selon lui « au moins 30 pays occidentaux ont commis des crimes de guerre » depuis la création de cette juridiction sans être inquiétés. Cette décision constitue un revers personnel pour la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, de nationalité gambienne, qui a été ministre de la Justice du président Yahya Jammeh. La Gambie a tenté en vain de convaincre la CPI de poursuivre les pays de l’Union européenne pour la mort de nombreux migrants africains en Méditerranée, a affirmé M. Bojang, précisant que son pays avait menacé de prendre des mesures s’il n’était pas entendu. « À partir de ce jour, mardi 24 octobre, nous ne sommes plus membres de la CPI et avons entamé le processus prescrit par le statut fondateur » pour nous en retirer, a-t-il indiqué.
Que fait la CPI en Afrique ?
Sur les dix enquêtes menées actuellement par la Cour pénale internationale, huit concernent l’Afrique. Mais encore une fois, ce sont les États africains qui ont saisi la Cour. C’est le cas dans l’affaire Thomas Lubanga, mais aussi pour l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo. Premier ex-chef d’État remis à la CPI, Laurent Gbagbo est écroué à La Haye depuis le 30 novembre 2011. Son coaccusé, l’ex-chef de milice Charles Blé Goudé, est lui écroué depuis mars 2014. Leur procès pour des crimes contre l’humanité, commis lors de violences post-électorales entre décembre 2010 et avril 2011, s’est ouvert le 28 janvier 2016. La CPI enquête également en Ouganda, avec Joseph Kony et d’autres sur le banc des accusés, mais aussi en RD Congo avec l’affaire Jean-Pierre Bemba. Plus récemment, c’est le Gabon qui a fait appel à la CPI pour une enquête préliminaire sur les violences postélectorales d’août 2016.
Ces décisions vont-elles provoquer une « vague de départs » ?
S’il semble que le vote du Parlement burundais « a ouvert la vanne », selon M. Whiting, cela ne signifie pas que de nombreux autres pays parmi les 124 États lui suivront le pas. « D’autres pays pourraient suivre mais en même temps, le Gabon vient de demander l’ouverture d’une enquête », a ajouté Mark Kersten, chercheur en droit pénal international à l’université de Toronto. « C’est très improbable de voir un retrait à l’échelle du continent. » En septembre 2013, les députés kényans avaient demandé que leur pays se retire du Statut de Rome mais le gouvernement, dont les deux têtes étaient alors poursuivies à La Haye, n’avait jamais pris de mesures concrètes sur la question. Enfin pour discuter de ces difficultés que traverse la CPI ou des réformes à envisager, il existe une assemblée des États parties, qui va tenir sa prochaine session du 16 au 25 novembre à La Haye.
Est-ce le début de la fin pour la CPI ?
Le départ de l’Afrique du Sud, partisan historique de la CPI, est un « coup dur » pour la Cour, mais il ne signifie pas pour autant la fin de l’organisation, selon les experts. « C’est une très mauvaise nouvelle pour la Cour, mais la justice internationale, tout comme la CPI, a toujours eu des hauts et des bas : elle ne va pas disparaître », a assuré à l’AFP Alex Whiting, professeur de droit à l’université d’Harvard. « Un tel départ est prévu dans le traité », rappelle Aaron Matta, chercheur au sein de l’Institut de La Haye pour une justice mondiale : la décision de Pretoria « est un message fort mais, au final, la CPI existe pour les victimes et non pour ceux au pouvoir qui décident de ratifier ou non un traité ».
Source : Le Point