L’art de négocier sans compromis ni compromission – Par Jacques Jonathan Nyemb
Plus un projet est ambitieux, plus les facteurs à prendre en compte seront nombreux et les négociations complexes. Le récent accord entre la société française Necotrans et le consortium de sociétés camerounaises Kribi Port Multi Operators sur la mise en place d’une société commune chargée de la gestion du terminal polyvalent du port en eau profonde de Kribi en est le parfait exemple. La diversité culturelle des acteurs impliqués et leur multiplicité – le consortium KPMO étant constitués de neuf sociétés camerounaises opérant dans des secteurs différents – laissent deviner de la complexité des négociations. Cet accord aurait pu ne jamais voir le jour, les parties camerounaises ayant fin 2016 accusé Necotrans d’avoir entamé des négociations secrètes avec certains membres du consortium. Les parties sont toutefois parvenues à un accord, probablement suite à des explications et des concessions de part et d’autre de la table des négociations. Les leçons à tirer de cet exemple sont nombreuses, les négociations d’affaires devant reposer sur certains principes fondamentaux afin de ne pas ruiner toutes chances de parvenir à un accord.
Pourquoi négocier ?
Il est courant d’associer la négociation au marchandage, ainsi qu’aux techniques permettant de tirer son intérêt d’une transaction au détriment d’une autre partie, voire de la manipuler. Ces négociations sont qualifiées de distributives, dans le sens où les intérêts des intervenants sont conflictuels et qu’une issue favorable à l’un serait forcément défavorable à l’autre.
Or, il est faux de penser que les négociations ne peuvent aboutir qu’à des situations à somme nulle, c’est-à-dire ne profitant qu’à une seule partie. Il ne faut pas perdre de vue qu’une négociation aboutissant à un accord durable entre les parties leur est plus bénéfique sur le long terme qu’une négociation conflictuelle maintenant ou créant une animosité.
Un fournisseur bénéficiera ainsi beaucoup plus d’une relation stable avec un client qui lui restera fidèle, que d’une négociation agressive avec un acheteur qui se sera réalisée certes dans de meilleurs termes pour le vendeur, mais qui aura réduit les chances d’une collaboration durable tant l’autre partie se sera sentie lésée. Les situations de négociation dans lesquelles les parties cherchent à trouver une issue équilibrée en prenant en compte leurs intérêts mutuels sont appelées intégratives.
William Ury et Roger Fisher de l’Université de Harvard ont approfondi cette théorie de la négociation intégrative en élaborant le concept de « Principled Negotiations » (aussi appelée Méthode de Harvard). Cette vision de la négociation repose sur l’importance d’encadrer une négociation par des principes directeurs, qui doivent prévaloir sur les intérêts propres des parties et leurs positions préconçues, afin de parvenir à un accord convenable pour toutes les parties prenantes.
Les clés d’une négociation réussie
Ainsi, il est possible d’isoler trois principes fondamentaux pour mener à bien une négociation dans un contexte de négociations d’affaires internationales complexes impliquant des acteurs d’horizons culturels variés.
Tout d’abord, il faut appréhender la complexité de la situation, afin de pouvoir prendre en compte tous les paramètres qui pourraient influencer la négociation et avoir une influence sur le comportement et les intérêts des parties. Comprendre, évaluer et gérer le risque de corruption en fait partie.
Ensuite, il faut s’efforcer de comprendre l’autre, que ce soit son background culturel qui va fortement impacter sa manière de négocier, mais aussi sa situation économique, sa relation avec les autres parties prenantes, voire son histoire personnelle.
Enfin, il est crucial de respecter la dignité de toutes les parties engagées dans la négociation. Le respect et la sincérité doivent guider le déroulement des négociations, afin de trouver une issue favorable à toutes les parties en vue de la mise en place d’un partenariat durable.
Les stratégies hostiles de négociation, qui consistent par exemple à cacher des informations à son interlocuteur ou à tirer parti de ses faiblesses, sont ainsi en contradiction avec ces principes et sont à éviter. Elles peuvent irrémédiablement ébranler la confiance qui existe entre les parties, et mettre à mal toutes chances d’arriver à un accord.
Cette conception de la négociation trouve particulièrement sa pertinence dans le contexte des affaires sur le continent africain. En effet, la négociation a toujours été dans de nombreuses cultures africaines au cœur des processus de règlements des conflits. La recherche du consensus, de l’harmonie et de l’équilibre des intérêts a ainsi tendance à prévaloir sur une approche conflictuelle et individualiste des échanges, qu’ils soient commerciaux, politiques ou familiaux. Tout acteur souhaitant s’engager dans des affaires en Afrique devra ainsi prendre en compte cet aspect culturel des négociations.
Le rôle de l’avocat
Comme dans toutes situations d’affaires, le recours à un conseil juridique permet de bénéficier de son expérience des négociations, qu’il a su renforcer au fur et à mesure des négociations qu’il a eu à mener pour le compte de ses clients.
L’avocat apporte également un regard à la fois extérieur et professionnel qui peut faire défaut aux parties prenantes, qui en étant directement concernées par la négociation n’ont pas le recul nécessaire pour en appréhender tous les aspects. Les avocats peuvent ainsi jouer le rôle d’intermédiaire dans les négociations, et aborder entre eux les points sensibles sans risquer de brusquer l’une ou l’autre des parties.
Enfin, l’avocat joue bien évidemment son rôle de juriste, en rédigeant par exemple les documents encadrant les négociations. Parmi ces documents se trouvent par exemple les accords de confidentialité, qui viennent protéger les informations échangées lors de la négociation, ou encore les Termsheets qui retranscrivent les points discutés lors de la négociation.
La prise en compte de ces éléments est indispensable à la mise en place d’un cadre favorisant des négociations sereines et constructives. Reste ensuite à parvenir à un accord, phase qui peut s’avérer longue. Les objectifs que se sont fixés les négociateurs ne pourront pas tous être atteints, ce qui nécessite des parties de définir leurs priorités. Parvenir à un accord ne signifie pas pour autant la fin des négociations, il doit ensuite être appliqué, ce qui peut nécessiter des ajustements. Une relation entre des partenaires économiques doit être flexible pour être durable, la longévité de la relation dépendant de l’ouverture des partenaires à la renégociation. Enfin, il peut malgré tout arriver, en dépit tous les efforts et sacrifices consentis, qu’aucun point d’accord acceptable ne soit trouvé. C’est pourquoi, l’échec des négociations doit aussi être préparé, sous peine d’ouvrir la voie à d’interminables procédures contentieuses, notamment pour rupture abusive de pourparlers.
Jacques Jonathan Nyemb
Président de la Commission Droit & Compétitivité du CAVIE