Au Mali, les djihadistes ont attaqué un symbole du processus de paix
Al-Mourabitoune, lié à Al-Qaida, a revendiqué l’attentat de mercredi à Gao, qui a fait au moins 60 morts et une centaine de blessés.
La cible visée, mercredi 18 janvier à Gao (nord-est), par le kamikaze d’Al-Mourabitoune, groupe affilié à Al-Qaida, a été soigneusement choisie. Pour choquer les esprits et ébranler encore davantage le processus de paix au Mali, déjà vacillant. La voiture bourrée d’explosifs n’a pas touché à l’aveugle n’importe quelle caserne. Le véhicule s’est transformé en boule de feu meurtrière dans la cour d’une caserne pilote regroupant d’anciens belligérants de 2012 censés, dorénavant, effectuer des patrouilles conjointes afin de montrer que le temps de la guerre est révolu. Au moins soixante personnes ont été tuées, une centaine d’autres blessées.
Dans une allocution télévisée, le président Ibrahim Boubacar Keïta a précisé que le pick-up utilisé était aux « couleurs du Mécanisme opérationnel de coordination » (MOC), la structure chargée d’organiser ces patrouilles. La voiture a pénétré dans la caserne vers 8 h 30, peu après l’heure du rassemblement des 600 hommes regroupés là et, selon une source locale, au moment de la relève entre unités de casques bleus de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) sécurisant les lieux.
Coup sévère
Le MOC de Gao est le premier à avoir été mis en place au Mali. La communauté internationale et les autorités maliennes plaçaient beaucoup d’espoirs dans ce dispositif destiné à rétablir la confiance entre les parties et relancer la mise en œuvre d’un accord de paix signé il y a dix-huit mois à Alger, mais dont la mise en œuvre s’ensable. Un véritable défi.
Le principe des MOC est de réunir sous un même uniforme des hommes qui s’entre-tuaient hier encore : d’une part, les anciens rebelles indépendantistes touareg de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), dont certains membres ont fait des allers-retours vers des mouvements djihadistes ; d’autre part, des groupes ou milices considérés comme progouvernementaux – la Plateforme, très implantée à Gao. Les forces armées maliennes devaient compléter ce triptyque au sein des patrouilles MOC.
Le coup porté à cette architecture de sécurité censée préfigurer une refonte de l’armée malienne est donc sévère. Dans la soirée, le Conseil de sécurité de l’ONU qui, avant cet attentat, avait prévu de se réunir, s’alarmait déjà « des retards continuels [qui] menacent la viabilité de l’accord ».
Ces MOC survivront-ils à l’attaque de Gao ? Le bilan humain est en tout cas très lourd puisque environ un quart des effectifs de celui de Gao a été tué ou blessé mercredi. « C’est un coup dur pour le processus d’intégration des mouvements dans l’armée », reconnaît Pierre Buyoya, le haut représentant de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel, regrettant « la dégradation de la situation sécuritaire ces derniers mois ».
« Occupants français »
Symboliquement, la première patrouille des MOC aurait dû se dérouler peu avant la visite de François Hollande, les 13 et 14 janvier, au Mali. Visite durant laquelle il fut salué par les autorités locales comme le sauveur du pays face à l’offensive djihadiste de 2011-2012. Cette patrouille, qui se heurtait déjà à une défiance entre les différents groupes nourrie par des années d’exactions réciproques, avait dû être reportée en raison de revendications diverses (grades, soldes…) formulées par ses différentes composantes.
L’attentat de Gao démontre que le problème sécuritaire au Mali va bien au-delà de ces exigences corporatistes. Trois ans après le début de l’intervention militaire française « Serval » (transformée depuis en opération « Barkhane » de lutte contre le terrorisme dans le Sahel), les djihadistes ont certes été dispersés et ne menacent plus directement la survie de l’Etat. Mais ils sont loin d’avoir rendu les armes.
Al-Mourabitoune, le groupe de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, rallié à Al-Qaida au Maghreb islamique depuis plus d’un an, avertit ainsi dans un communiqué de revendication publié par l’agence mauritanienne Al-Akhbar : « Nous n’autorisons pas l’installation de baraquements et de bases ni le regroupement de patrouilles et de convois appartenant aux occupants français, pour faire la guerre aux moudjahidin. »
Le kamikaze est identifié dans ce texte sous le nom d’« Abdelhadi Al-Foulani », indiquant son appartenance à l’ethnie peule, l’une des communautés très présentes dans la sous-région. L’état-major de la Minusma, qui compte environ 10 000 hommes, concentrés sur la pacification de l’immensité désertique de l’est et du nord maliens, comptait sur le mixage sécuritaire des MOC pour redéployer des casques bleus dans le centre du pays, confronté à un nouveau foyer inquiétant d’agitation, alimentée par des groupes radicaux, peuls notamment.
Source : Le Monde
Bamako, envoyé spécial